Le témoignage de Clémentine Allosio
« En cette dure époque, j’ai été dans l’obligation de chercher un emploi, car j’avais une petite fille à élever, et avec beaucoup de chance, j’ai trouvé dans une biscuiterie, ce qui me permettait de manger « en cachette » quelques biscuits trempés dans de l’eau, pour calmer mes crampes d’estomac. Pendant cette période, j’ai beaucoup travaillé, étais toujours volontaire pour effectuer des heures supplémentaires ; le sursalaire me permettant d’acheter par exemple, un supplément de lait pour ma petite fille qui était de santé très fragile.
Triste souvenir ces longues heures d’attente devant les magasins d’alimentation, bien souvent quand mon tour arrivait, il n’y avait presque plus rien ! Quelque fois on trouvait à acheter des rutabagas ; tout était bon!
Comme nous étions tous soumis au rationnement, le fait que je n’avais pas 21 ans (j’étais J.3), me donnait droit à 3 tablettes de chocolat par mois : une était pour ma petite fille, la seconde pour mon mari et la troisième (bien que j’adorais le chocolat), je la troquais contre d’autres marchandises…
Le pain était rationné selon l’âge, il était lourd, noir et collant. Quelle joie et à quel prix quand rarement l’occasion se présentait d’avoir du pain blanc; nous le mangions comme un gâteau.
Il fallait, durant cette période de guerre, faire preuve de beaucoup d’ingéniosité et de persévérance pour dénicher quelque ravitaillement supplémentaire. C’est ainsi qu’il m’est arrivé de nombreuses fois de faire un aller-retour jusqu’en Savoie avec un vieux vélo dont les pneus usés étaient consolidés avec de la ficelle très serrée. Inutile de dire comme cela fatiguait, mais je pouvais ainsi envoyer des colis à mon mari. (…)
Mon mari après plusieurs tentatives d’évasion dont la dernière date de 1942, fut repris. Après plusieurs jours de marche……. Un long silence et j’ai été informée qu’il partirait avec le premier convoi pour Rawa-Ruska…….
Je suis restée plusieurs mois sans nouvelles, impossible d’écrire, ce qui fut mon angoisse et mon chagrin au quotidien, car ses lettres étaient ma seule joie, mais il fallait tenir le coup…
Je ne me suis jamais isolée, au contraire, j’allais rendre visite à d’autres femmes de prisonniers, nous échangions nos idées sur les enfants, le mal que nous avions pour vivre. Nous parlions beaucoup de « nos chers captifs », de nouvelles que chacune avait reçues, nous lisions nos lettres entre les lignes, nous arrivions à comprendre ce qu’ils voulaient nous dire.
Nous avions l’association des femmes de prisonniers qui était le lieu de rencontres ; nous nous soutenions mutuellement. Nous allions voir nos amies souffrantes, nous mettions ensemble quelques tickets de pain (malgré le peu que nous avions) pour pouvoir acheter quelques biscuits que nous portions lors de nos visites soit à leur domicile, soit à l’hôpital quand malheureusement c’était le cas…
C’était là, l’amitié et la vraie camaraderie ; nous échangions d’ingénieuses recettes « inventées » comme faire une salade au savon sans huile, comment récupérer de vieux pneus pour ressemeler nos chaussures…… Nous avions une seule idée en tête : « tenir le coup! Cela va finir, tenir le coup : bientôt sera le retour tant rêvé !
Extrait de S. Fishman, « Femmes de prisonniers de guerre 1940-45 », Paris, L’Harmattan, 1996, p. 205